Différents sens du mot “croire”

Je suis étudiante en classes préparatoires et je me permets de vous contacter du fait de votre connaissance de la religion catholique. J’ai, en effet, plus de questions existentialo-religieuses que de réponses à leur donner, et il me semble que vous pourriez éclairer ma réflexion – et, du même coup, largement m’apaiser. J’ai grandi dans une famille catholique. Tout mon environnement, de mon école privée à mes activités, était imprégné par la foi de mes parents. En janvier 2020, alors que je n’avais eu jusqu’alors qu’une foi reçue à laquelle je n’adhérais qu’avec distance, j’ai commencé à croire suite à une retraite organisée par mon lycée. J’ai eu l’impression, à ce moment précis, de sentir la présence de Dieu, et je me suis sentie envahie par une joie profonde. Pourtant, après quelques mois, cette foi nouvelle a commencé à s’étioler – alors que je pratiquais avec la même assiduité, que j’étais entourée par une communauté spirituelle très présente malgré la pandémie, que je nourrissais ma foi. Ma perte de foi définitive a eu lieu en mai de la même année, lorsque j’ai découvert Albert Camus. Après avoir lu une bonne demi-douzaine de fois L’étranger, La Peste, Caligula, L’Homme révolté et surtout, Le Mythe de Sisyphe, je me suis rendu compte que les raisons qu’avait Camus de ne pas croire me semblaient largement plus raisonnées et cohérentes que ce que j’avais tenu pour une foi. Le mouvement inverse à celui que j’avais ressenti en janvier s’est alors opéré : après avoir cru voir le soleil, j’ai eu l’impression de plonger dans la nuit. Il m’a semblé que chaque chose perdait son sens, que ma vie se transformait en un bateau sans gouvernail. Mais m’agripper à mes anciennes croyances comme à autant de bouées de secours me semblait intellectuellement malhonnête : maintenant que je les tenais pour illusoires, je n’étais de toute façon plus capable d’y croire vraiment. Trois ans après cette rupture, j’ai l’impression de ne pas avoir vraiment avancé – même si la profonde angoisse qui m’a longtemps habitée s’est maintenant apaisée. Bien que je ne pratique plus la religion catholique, je suis encore attachée à beaucoup des valeurs que l’on m’a transmises – l’altruisme, le don de soi, l’amour gratuit. Aujourd’hui, j’aimerais trouver des réponses à toutes les questions qui m’habitent. En voici quelques-unes, sans ordre précis (…) : J’ai eu, à un moment de ma vie, l’impression de sentir la présence de Dieu dans ma vie ; j’ai posé des gestes d’engagement envers lui (en recevant le sacrement de l’eucharistie, de la réconciliation ou de la confirmation, par exemple Si Dieu existe, pourquoi dois-je y croire ? (…) D’avance, je vous remercie beaucoup pour l’attention que vous porterez à mon courrier. Je n’ai guère l’occasion de pouvoir échanger avec des interlocuteurs qualifiés tant en matière de théologie que de philosophie, ou capables de m’orienter vers des auteurs pertinents. Chaque éclairage que vous pourriez m’apporter me serait donc très précieux. (2/5)

Ce que nous comprenons de la question, c’est qu’elle interroge ce qu’on entend par « croire ».

1° La compréhension la plus courante de l’expression « croire en Dieu » porte sur la réalité de son existence objective ou non.  Du coup, se demander « si Dieu existe, pourquoi dois-je y croire ? » est pour le moins curieux. Que signifie nier une réalité objective ? S’il fait soleil aujourd’hui que signifie prétendre qu’il pleut ? On touche à des domaines psychiques qui ne sont pas de notre compétence.

2° L’autre sens du mot « croire » est celui du Credo, lorsqu’on récite « Je crois en l’Eglise, une sainte, catholique et apostolique ». Personne de sain d’esprit ne nierait l’existence objective d’une institution qui s’appelle « Eglise catholique ». Mais croire en l’Eglise, à sa sainteté et à l’efficacité des sacrements qu’elle administre, à son rôle pour transmettre la foi reçue des Apôtres, à l’unicité de sa mission dans le plan du Salut, c’est autre chose. Mais, pour en revenir à Dieu, cela veut dire que cela revient à admettre son existence mais refuser ce qu’Il est : Eternel, Créateur, Sauveur, Beau, Bon, Vrai. Bref, se révolter contre lui. C’est exactement la démarche de Satan. Car refuser de croire en l’éternel, la vie, la vie éternelle, le beau, le bon, le vrai, quand bien même on sait pertinemment qu’il existe, n’est-ce pas s’attacher à l’inverse : l’inconsistant, le néant, l’Accusateur, le tordu, le mauvais, le faux ?

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Commentaires

  1. Olivier

    Bonjour,

    Si je peux me permettre, je peux apporter ma modeste contribution à une de vos demandes en ce qui concerne le fait de vous orienter vers “des auteurs pertinents”.

    Vous dites que lire Camus a été comme un déclic pour vous. Si vous l’avez lu, vous êtes peut-être plus sensible aux romans qu’à des essais, mais je peux vous aiguiller sur des livres qui rendent compte de façon assez simple du caractère raisonnable de notre foi. J’en citerais trois, je ne les ai pas tous lu en entier mais ils portent sur le même thème :
    – Il n’y a qu’un seul Dieu, de Raffard de Brienne
    – Catholix Reloaded, de Frédéric Guillaud
    – Soyez rationnels, devenez catholiques, de Mathieu Lavagna

    A mon avis, les deux derniers livres sont redondants, pas la peine de se procurer les deux il me semble.

    Les arguments développez dans ces livres sont des arguments vraiment classiques et développés depuis toujours (peut-on raisonnablement croire en Dieu ? Est-ce que la raison peut rendre compte de l’existence de Jésus ? Peut-on raisonnablement penser que les évangiles sont des textes fiables ? Quid de l’existence du mal ? Etc.). Ce n’est donc pas un goût personnel qui me fait vous suggérez ces livres, c’est parce qu’ils sont représentatifs.

    Ca ne vous transportera peut-être pas l’âme, mais il est important d’assimiler ces raisonnements et arguments qui sont très simples et qui répondent à des objections souvent simplistes ou de faux dilemmes posés par des gens comme Camus ou d’autres.

    Je suis tout à fait persuadé qu’il y a de très bons romanciers qui traitent du sujet de la foi, mais je ne m’y connais pas assez pour vous aiguiller à ce niveau là.

    Si vous aimez les supports vidéos, je vous conseille la série de vidéo qu’a faite Arnaud Dumouch (théologien catholique) sur les “sept philosophies athées” où il aborde les différentes philosophies qui ont été développées récemment et qui ont mis en doute le christianisme ou le concept de Dieu en général (Camus n’y est pas abordé, mais Jean-Paul Sartre, Auguste comte, Nietzsche, le matérialisme athée en général, etc.). C’est très éclairant je trouve.

    Bonne continuation à vous !

  2. dany verstock verhaeghe

    « Je ne tente pas, Seigneur, de pénétrer Ta profondeur, car je ne peux pas, même de loin, comparer avec elle mon intellect ; mais je désire comprendre, au moins jusqu’à un certain point, Ta vérité, que mon cœur croit et aime. Je ne cherche pas, en effet, à comprendre pour croire, mais je crois pour comprendre« (ibid., 1).Saint Anselme

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